Moscou, 20 Juin 1944.
La capitale de l'URSS, miraculée en 1941, bombardée en 1943, est aujourd'hui redevenue sûre. Les bombes allemandes ne tombent plus. Les ruines ont toutes été comblée, les bâtiments reconstruits, les vieilles tranchées et autres fortifications comblées. Même un miracle ne pourrait plus mettre Moscou en danger. Les allemands ont énormément reculé de la fin 1942 à ce début d'été. Le siège de Leningrad a été levé depuis Janvier de la même année, les Pays Baltes ont été libérés, les forces soviétiques progressent en Biélorussie et en Ukraine. Bientôt, l'armée rouge entrera en Pologne, en Roumanie, en Hongrie... La ville oublie ne serait-ce qu'un peu la réalité dans les célébrations des victoires.
Mais la réalité existe toujours sous le masque de la fête. Que ce soit à l'arrière ou au front. La police secrète peut envoyer n'importe qui en Sibérie sur un moindre soupçon. La tactique soviétique sur le front est tout aussi sanglante. Les soldats sont envoyés en vagues d'assaut sur les lignes ennemies, subissant des pertes terribles, bien supérieures à celles des allemands. Les rangs des « auxiliaires spéciaux », nom donné aux Pokémons, sont eux aussi réduits à néant en une attaque. C'est la même tactique offensive que durant la guerre des tranchées, la seule différence est que le front bouge. Il recule, oui, mais à quel prix ? Combien d'hommes emportés pour un village de libéré ? Combien de blindés détruits pour arracher un bunker ? Combien de Pokémons mourants sous les balles pour repousser les allemands ? Le prix du sang est un tribut bien cher à payer pour libérer le sol du pays et au-delà, envahir l'Allemagne.
Tout ceci est orchestré par un seul homme. Une terreur qui se cache dans un corps de nabot. Un esprit ni diabolique, ni bienveillant. Un esprit qui n'existe pour le pouvoir et dont la plus grande volonté est de le garder.
Staline. Le « petit père des peuples » qui peut les massacrer en ne disant que quelques mots à ses exécutants. Exécutants qui seront eux-mêmes exécutes si ils font mal leur travail.
La machine stalinienne est remplie par la jalousie, la peur, la terreur et la mort.
Comme les rois d'antan, Staline choisit des préférés. Ceux qui ont du succès, comme Joukov, vainqueur de Stalingrad et de Koursk. Mais il n'a pas de détestés ; ces derniers n'ont pas le temps de vivre. Le maître de l'URSS n'a confiance en personne. Il joue sur les rivalités, provoquant les conflits entre ses serviteurs. Staline est partout. Il dort très peu, quatre heures par nuit, et jamais deux fois de suite dans la même chambre, afin que personne ne sache où il est pour l'assassiner. Il veut tout savoir et tout diriger. Et il sait tout, et il dirige tout. Mais pourtant, il ne se montre que peu. Il n'est jamais allé ne serait-ce que près du front, contrairement à son adversaire allemand qui s'est déjà rendu en Ukraine. Quand Moscou était bombardé, il était à l'abri du danger dans le Kremlin, bâtiment fait pour résister à tout ce qui peut se présenter. Les ruines, il ne les a vu qu'une fois, en 1943. Le maître de l'URSS revenait d'une conférence en Iran avec les chefs occidentaux, et son chemin de retour lui faisait passer par Stalingrad. Il a pu voir les ruines de la ville qui porte son nom, dans laquelle près d'un million d'hommes étaient morts quelques mois plus tôt. Il a vu ces pauvres gens qui déblayaient les ruines, à la recherche de leurs biens personnels, de tout ce qu'ils avaient, oui, ces gens à la recherche de leur âme. Il n'a rien ressentis d'autre que du mépris envers ces soviétiques en détresse. Qu'étaient-ils à l'échelle de l'Union ? Rien. Staline ne s'intéresse pas à un homme, il ne s'intéresse qu'aux cents-cinquante millions.
En ce jour de Juin 1944, le petit père des peuples est comme à son habitude, assis à son bureau. Il ne peut voir le soleil qui brille en ce début d'été, mais cela ne le gêne pas le moins du monde. Un directeur de laboratoire lui remet un rapport. Des laboratoires, en Union soviétique, il y en a tellement... Certains travaillent sur le Tank Joseph Staline –Encore quelque chose nommé à son nom !-, d'autres étudient les technologies allemandes capturées, certains mettent au point des armes surpuissantes, non pas contre l'Allemagne, mais en cas de guerre contre les anglo-américains. Certains d'entre eux, les plus sombres, effectuent des tests sur les humains. Il semble d'ailleurs que ce soit le cas du laboratoire dont on parle à Staline...
« Ainsi, monsieur, je vous confirme que ce n'est qu'une question de jour avant le déploiement de notre unité ! Nous n'avons plus qu'une seule séance d'entraînement à effectuer et le 1er corps d'hybrides de combat sera prêt à prendre part à l'offensive de Biélorussie et de Pologne !
-Bien, bien... C'est une très bonne nouvelle, mais dites-moi... ces « hybrides », comme vous dites, peuvent-t-ils vraiment avoir un rôle important en comparaison du choc de millions d'hommes, de milliers de canons, tanks, avions ?
-Nous avons reçu des rapports des américains. Ils sembleraient que les japonais aient dû utiliser des hybrides, en nombre peu important. Vous voulez savoir le résultat ? Les Américains ont dû faire rembarquer la force qui devait reprendre les Philippines, pourtant très puissante, et les japonais ont sécurisés toute la Birmanie ! Ils sont même entrés dans l'est de L'Inde et au Bangladesh, et tout semble prédire un effondrement de l'armée chinoise sur tout le front ! Or, nous savons que les japonais et les allemands se partagent leurs projets de recherche. Il nous faut des hybrides pour contrer une éventuel attaque allemande ! Imaginez... Imaginez dont les allemands de retour à Stalingrad ! Imaginez la croix gammée flotter sur le Kremlin, ici-même, à Moscou, capitale de la grande union des peuples ! Imaginez... ce serait... la fin de l'URSS et le monde deviendrais le terrain de jeu du nabot allemand et de ses sous-fifres ! »
Le scientifique arrêta de parler, essoufflé. Staline avait gardé son air neutre, qu'il n'enlève jamais de son visage. Il lit les prétendus rapports sur les hybrides japonais. Et le scientifique exténué a bien raison.
« Merci, camarade. Peut-être que grâce à vos recherches, la grande union sera sauvée. Toutefois... Je trouve que vous m'avez parlé d'un ton un peu-trop... osé. »
Sur ces paroles, les portes du goulag viennent, encore une fois, de s'ouvrir, alors que le petit père des peuples caresse tranquillement son Chaglam confortablement installé sur ses genoux, en signant le document qui autorise la mise en service des hybrides du projet IS-3, abréviation de Joseph Staline. Le maître de l'URSS est partout.